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Monsieur le Bâtonnier
ORDRE DES AVOCATS
PARIS

PAR PALAIS

Paris, le 10 octobre 2000

Monsieur le Bâtonnier,

Il y a quelques temps, j’étais intervenu auprès de vous pour vous faire part de mon incompréhension face à des positions exprimées dans les médias par certains élus de notre Ordre sur la portée particulière que devait conserver le secret professionnel chez les avocats.

Ces positions, politiquement convenables sur le plan de la forme, apparaissaient au fond plutôt confusément restrictives au libre exercice indépendant de notre profession. Elles exprimaient en substance une sorte de « repentance » et d’inclinaison à envisager pour l’avocat un devoir moral de délation dans le cadre de ses activités de conseil et dans la gestion des compte CARPA … Tout cela à la suite de propos diffamatoires tenus par Madame le Juge d’Instruction Eva JOLY, toute cela dans des conditions suffisament floues et inquiétantes pour que la crédibilité de notre profession et l’assurance de nos clients envers celle-ci en prennent injustement un coup, gratuit et médiatique qui plus est …

Et voilà une sorte de « récidive » tout aussi troublante dans votre éditorial du bulletin no 27.

Je reprendrai poste par poste votre démonstration sous forme de syllogisme pour mieux la critiquer comme suit. Tant pis si c’est un peu long.

Après avoir très justement retenu en prémisse majeure que le secret professionnel de l’avocat est absolu en vue de garantir à son client un droit au secret dans le cadre d’un soutien efficace, solide et loyal, vous abordez ensuite en prémisse mineure qu’en référence à une règle éthique non précisée, le secret professionnel ne doit pas profiter uniquement à l’avocat et que son cabinet n’est pas un sanctuaire.

Si votre première objection me parait simplement discutable en raison de la communauté évidente d’intérêts qui lie naturellement l’avocat à son client, votre seconde me parait en revanche tout à fait troublante.

Pourquoi en effet dénier à l’avocat le droit de disposer d’un sanctuaire ? Au sens premier, un sanctuaire est la partie sacrée d’un édifice religieux. Au sens figuré, un sanctuaire est un lieu privé, intime, inviolable et digne de respect en tant que tel. Ainsi, sur un plan moral, religieux et juridique, tout domicile privé a vocation à devenir, dans certaines conditions cela s’entend, un véritable sanctuaire. Ce que d’ailleurs vous semblez admettre aux termes de votre première prémisse, puisque vous placez l’avocat au rang du confesseur … Or, tout confesseur doit pouvoir disposer d’un confessionnal, sanctuaire par excellence.

Le terme « sanctuaire » ne me paraît donc en aucun cas devoir être proscrit, sauf à reculer et à céder le pas à ceux qui veulent anéantir notre profession. En vérité, nos prestations méritent quelque part un lieu de protection, un « sanctuaire » dans l’intérêt commun de notre profession et de notre clientèle.

Cette protection doit jouer tout d’abord en faveur des clients. En effet, si la responsabilité personnelle de l’avocat ou de son client doit par la force des choses être caractérisée par une perquisition à son cabinet, il est évident que cette perquisition doit intervenir dans le strict respect du droit des tiers, c’est-à-dire des autres clients, puisque ceux-ci ont en rang égal, je reprends vos propos, droit à « leur » secret professionnel.

Il est inadmissible que des policiers puissent profiter des termes vagues d’une commission rogatoire pour passer librement au crible, de fond en comble et lors d’une perquisition tous les dossiers d’un cabinet d’avocat et prendre en toute liberté des pièces d’un dossier extérieur à l’enquête et concernant un autre justiciable.
Il est inadmissible que personne ne tienne alors compte des intérêts intimes de toutes les personnes tierces qui ont confié audit avocat leurs secrets et la défense de leurs intérêts. Le juge qui accepte de couvrir de telles pratiques se rend coupable de forfaiture parce qu’il se placerait alors à l’extérieur de tout cadre juridique précis pour violer le secret professionnel de l’avocat.

Je reste encore plus indigné d’apprendre que l’on puisse envisager un tel passage au crible dans le cadre d’une action préventive (police administrative, fisc, CARPA, que sais-je encore … ) au profit d’une autorité publique non désigné du genre « big brother » sans que, une fois de plus, on ne tienne compte des intérêts intimes de toutes les personnes tierces qui ont confié au dit avocat leurs secrets intimes et la défense de leurs intérêts légitimes.

Cette protection doit jouer ensuite en faveur de la profession. En effet, celle-ci est difficile : elle nous place au milieu de lourds conflits au service de la défense libre et indépendante des intérêts particuliers de nos clients. Si nos prestations de service représentent une valeur économique, elles correspondent aussi à un droit politique sacré, à savoir celui pour tout un chacun de prétendre dans la vie de tous les jours au bénéfice d’un Etat de droit.

L’avocat, n’en déplaise à certains, n’est ni un policier ni un contrôleur ni un complice mais un défenseur. Il doit pouvoir, en dépit des circonstances pour ou moins faciles, chercher à comprendre, à défendre, à « faire au mieux » pour servir les intérêts légitimes de son client, et ce quelque soit le domaine « au judiciaire » ou « au juridique ». Il ne doit pas, dans l’exercice normal de ses activités de conseil, d’assistance ou de plaidoirie, être automatiquement pris à partie en tant que complice ou receleur dés que lors qu’il manipule fortuitement des pièces irrégulières ou dés lors qu’il soutient involontairement une entreprise nuisible. Il ne doit également pas céder à la lâcheté en « virant » à la première suspicion son client, ou, pire encore, en le dénonçant, sauf à manquer à ses obligations essentielles.

Il existe dans notre Code Pénal des dispositions en vue de garantir l’inviolabilité de la personne même de l’avocat, en cas de menaces par exemple. Ces dispositions ont été prises dans l’intérêt personnel bien compris de l’avocat (et aussi dans celui bien compris de son client) en vue de lui garantir la sérénité de son action.
Il apparaît que son cabinet, en cas de violation, n’est pas spécialement protégé à niveau équivalent. Pourquoi alors ne pas y remédier ? Il serait en tout cas scandaleux d’admettre avec fatalité qu’un avocat fasse l’objet de manoeuvres judiciaires gratuites et inconsidérées face à la vindicte passionnelle de magistrats, de policiers, de journalistes, ou de la rue, sans assistance de ses confrères, et qu’il soit poussé à la ruine du seul fait de l’inaction ou la fuite de son entourage.

Notre profession doit donc être suffisamment courageuse pour exiger, au delà de tout corporatisme, que soit spécifiquement garanti sur un plan législatif et à un niveau fondamental, l’inviolabilité du cabinet d’avocat, ce dans le droit fil du droit du client au secret professionnel.

Les conditions de perquisition doivent donc être définies précisément par le législateur et décidées préalablement par un Juge suffisamment qualifié en libertés publiques, pour des faits réels et graves tendant à justifier qu’un avocat, précisément désigné, a participé de fait, activement et intentionnellement, dans un ou des dossiers précis, à l’exécution d’opérations frauduleuses en vue de porter spécialement atteinte aux droits de tiers.

Une action commune des barreaux auprès du Parlement doit s’imposer immédiatement en vue de fixer une bonne fois pour toute les règles du jeu : encore une fois, il en va non pas d’un corporatisme mal ressenti dans notre profession, mais des intérêts légitimes des justiciables que nous défendons et du libre jeu de notre démocratie …

En vous priant de bien vouloir excuser la longueur de mon propos, mais je n’ai pas eu le temps de faire plus court.

Je vous prie de croire, Monsieur le Bâtonnier, à l’expression de mes sentiments respectueusement distingués et dévoués.

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